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ELEMENTS D'UNE DOCTRINE CHRETIENNE DU MAL
LE LIEU DE LA NOTION Si l'on en croit Schopenhauer, à l'origine de Ia métaphysique se trouve Ia question: pourquoi y-a-t-il du mal? 1. Pourquoi Ie mal, c'està-dire pourquoi y-a-t-il de Ia souffrance, dê l'injustice, de Ia mort? Apparemment il s'agit d'une interrogation d'ordre moral mais celle-ci renvoie en fait à quelque chose de plus profond. S'il y a jugement moral, c'est-à-dire condamnation d'une condition présente et actuelle, c'est que l'esprit considère Ie présent comme anormal, comme devant être autrement. Et cette exigence de transcender Ie donné malheureux en vue du non-donné meilleur revient à imposer —c'est-à-dire à poser— une autre sphère, une sphère idéale et normative. Cette autre sphère, transcendante, est celle du royaume de l'intelligible, et Ie monde intelligible, conçu non plus dans sa normativité idéale mais selon une dimension réelle, effective, est Ie royaume de Dieu. La notion du mal conduit donc eo ipso à Ia métaphysique et à Ia religion. Cernons cependant de plus près Ia notion. Eprouver Ie mal implique Ie refus de Ia nécessité et de l'inévitabilité du donné. Ce donné, Ie donné mauvais, est à considérer comme ce qui ne doit pas être, Ie mal est donc Ie ne-pas-devant-être. Sous Ie tourment insupportable de Ia peine, l'esprit récuse Ia réalité présente, Ia rejette, Ia condamne. Cette condamnation, cri du coeur de Ia créature torturée, trahit également un effort d'auto-défense de l'esprit. Sans doute, l'intolérable, Ie révoltant, l'horrible existent mais ils n'existent que comme excroissance, comme accident, comme scandale et en les condamnant on professe en même temps Ia foi en une réalité meilleure. Plus exactement: si on pense que Ia souffrance est désordre, alors on
1 Schopenhauer, 'Le monde comme volonté et comme représentation', II. cap. 17. (Paris 1904) p. 306.
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