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LE STATUT ONTOLOGIQUE DU POSSIBLE SELON SUAREZ
Les catégories de Ia modalité constituent assurément une pièce essentielle dans l'architecture de Ia métaphysique, un des points les plus sensibles de son économie,- c'est à travers son concept de Ia possibilité (i.e. Ie jeu possibilité/réalité-existence), qu'il convient d'abord de délimiter en son essence Ia métaphysique rationnelle, de définir ce qui en elle fait proprement système. Schelling justement ne s'y est pas trompé, qui en janvier 1850, devant l'Académie des Sciences de Berlin, s'interrogeait sur l'histoire de Ia question, classique depuis Saint Augustin, de origine essentiarum, idearum, possibilium, veritatum aeternaruml. Dans cette histoire, dans ce projet métaphysique, caractérisé par ScheUing de négatif, Suarez occupe une place très remarquable, puisqu'il contribue à fixer en ses traits directeurs Ia dite métaphysique scolaire —reine oder blosse Vernunftwissenschaft—, science a priori du possible, abstraction faite de toute positivité, de toute position de l'existence2. L'importance exceptionnelle de Ia pensée suarézienne sur ce point a été largement reconnue par les commentateurs 3, même si les interprétations proposées divergent, jusque dans Ia détermination même de Ia doctrine propre à Suarez. Reprenant ici Ia question à neuf, notre propos n'est pas de confronter entre elles ces différentes exégèses, et encore moins de trancher, mais simplement de fixer exactement l'enjeu de Ia question thématisée par Suarez —ou mieux des questions, puisque Ia problématique du possible rassemble, comme en un point nodal, une multitude de problèmes convergents qui viennent s'inscrire en une configuration d'ensemble où se 4 décide, en ses grandes lignes, Ie projet suarézien de Ia métaphysique . Les questions «classiques» qui trouvent à s'y articuler ne sauraient être examinées ici pour elles-mêmes et dans tous leurs aspects, s'il est vrai qu'elles touchent rien de moins que les idées en Dieu, Ia toute-puissance, Ia scientia Dei, Ie rapport entendement-volonté, l'opposition de Ia «science de simple inteUigence» et de
1 Sammtlich0 Werke, t. XI, pp. 575^0. 2 Cf. en particulier l'oeuvre de Ch. Wolff, qu'E. Gilson pouvait caractériser comme une «ontologie sans théologie» tL'Etre et l'Essence, seconde éd., p. 172). 3 Cf. en particulier, M. Rast, 'Die Possibilienlehre des Franz Suárez', Scholastik, X (1935) pp. 34(^68; P. Garin, Thèses cartésiennes et thèses thomistes (Paris, s.d.), en particulier pp. 128 sq.; T. J. Cronin, Objective Being in Descartes and in Suarez (Rome 1966), en particulier p. l67sq.; J. P. Doyle, 'Suárez on the reality of the possibles', The modem Schoolman, XLV (1967) pp. 29^8. 4 Cf. J. F. Courtine, 1Le projet suarézien de Ia métaphysique', Archives de Philosophie, 42 fl979) pp. 235-73.
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